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régularisation des cotisations sociales des artistes-auteurs - 18/05/2016

Madame Marisol TOURAINE

Ministère des Affaires Sociales et de la Santé
14, avenue Duquesne
75350 PARIS 07

Paris, le 18 mai 2016
Objet : régularisation des cotisations sociales des artistes-auteurs postérieures au 31 janvier 1975

Madame la Ministre,

Après une première réunion de concertation qui s’est tenue le 14 décembre 2015, vos services nous ont réunis le 28 avril 2016 pour nous présenter une nouvelle version du projet de circulaire relatif au dispositif de régularisation des cotisations dites prescrites des artistes-auteurs. La nécessité de ce dispositif découle principalement des pratiques illégales de l’Agessa depuis sa création jusqu’à nos jours. Désormais il appartient à l’État d’apurer ce passif plus que regrettable.

À cet effet, dans un courrier conjoint avec Madame la ministre de la culture en date du 29 juillet 2015,  vous vous êtes engagée à « rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ».

Il convient donc d’envisager un dispositif adapté et accessible au plus grand nombre, pour que les artistes-auteurs qui n’ont pas été appelés à cotiser à l’assurance vieillesse et/ou qui ont cotisé sur une mauvaise assiette soient pleinement rétablis dans leurs droits.

Juridiquement le principe essentiel qui découle de la notion même d'acte illicite est que « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis".

L’État est aujourd’hui tenu de réparer les dommages résultant de ses actes. Sauf excès de pouvoir, la prescription triennale prévue dans le code de la sécurité sociale ne peut être invoquée pour refuser une réparation équitable au bénéfice des artistes-auteurs !

I - Le droit à un règlement équitable et complet des actes illicites de l’Agessa

Nous observons tout d’abord que la base légale du projet de circulaire est insuffisante pour permettre d’apurer pleinement le passif préjudiciable de l’Agessa.

En effet l’article R.351-11 du code de la sécurité sociale vise exclusivement la régularisation des cotisations vieillesse. Or vous n’ignorez pas que les pratiques illicites de l’Agessa ne portent pas exclusivement sur les cotisations d’assurance vieillesse mais également sur les autres cotisations sociales. Comme vous le savez en violation du code de la sécurité sociale, l’Agessa impose depuis sa création aux non affiliés déclarant en BNC de cotiser sur leur chiffre d’affaires au lieu de leur bénéfice. L’application de cette mauvaise assiette génère un versement de cotisations sociales  indues jamais remboursées.

Une régularisation des cotisations sociales des artistes-auteurs pour cause de dysfonctionnement notoire ne peut s’attacher exclusivement au rachat des cotisations vieillesse non appelées sans envisager simultanément une procédure  de  remboursement  des  cotisations  sociales  indûment versées. Les délais de prescription en matière de cotisations sociales sont identiques pour les cotisations impayées et les remboursements de trop-perçu. Le mécanisme de régularisation des cotisations des artistes-auteurs doit permettre d’apurer totalement le passif de l’Agessa donc de régulariser l’ensemble des pratiques illicites constatées pour effectivement rétablir les artistes- auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux.

Dans le cas particulier qui nous occupe, l’obligation de remboursement nait incontestablement d’un défaut du contrôle de légalité de l’État, il est donc légitime de considérer que le délai de prescription prévu par l’article L243-6 du code de la sécurité sociale n’est nullement opposable et que les demandes de remboursement doivent pouvoir porter sur l’ensemble des périodes concernées.

Le délai de prescription de l'action  en restitution des cotisations ne peut raisonnablement commencer à courir alors même que les artistes-auteurs lésés ignorent encore le préjudice subi.
De plus, en tout état de cause et dans les circonstances présentes, le fait d’opposer aux artistes- auteurs concernés la prescription triennale les priverait de la possibilité effective de récupérer les sommes indûment versées et ce, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des  droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à  ladite Convention.
Le développement de la jurisprudence a multiplié les cas où une satisfaction équitable a été attribuée aux requérants. Sur des périodes supérieures à 3 ans, il a été jugé qu’en regard des circonstances, la demande de remboursement des cotisations indûment versées n’était pas prescrite. L’URSSAF a ainsi pu être condamnée à rembourser l’intégralité de versements indus sur des périodes largement supérieures à 3 ans.

En conséquence, nous demandons expressément que le projet de circulaire vise non seulement  le   paiement   rétroactif   des   cotisations   vieillesse   mais   également   les   modalités   de  remboursement intégral des cotisations indûment versées par les non affiliés de l’Agessa  déclarant en BNC (dont le nombre est actuellement estimé à 25% des non affiliés soit environ 50.000 artistes-auteurs).

 II - La cessation immédiate des pratiques illicites de l’Agessa induisant la perception de cotisations indues

La carence du contrôle de légalité des ministères de tutelle ne peut raisonnablement perdurer. Afin de ne pas continuer à générer des versements de cotisations indues, il convient que les ministères de tutelle imposent dès maintenant à l’Agessa d’identifier et de fournir la dispense de précompte  à  tout  cotisant  déclarant ses revenus en BNC, et ce, indépendamment de toute procédure de régularisation (prescrites ou non).

De même, il convient qu’il soit imposé à l’Agessa de cesser de faire payer aux artistes-auteurs des  contributions diffuseurs (par exemple quand le diffuseur est à l’étranger, quand il s’agit de vente d’œuvres à particulier, etc.).  Il est également indispensable  que  l’Agessa  cesse  d’opposer  la  prescription triennale aux artistes-auteurs qui demandent le remboursement de ces sommes indues (ou que les modalités de remboursement de ces indus soient également prises en compte dans la  circulaire).

III - La régularisation des cotisations vieillesse prescrites

Le projet présenté le 28 avril pose d’importants problèmes d’effectivité. Un dispositif qui serait aussi peu fonctionnel relèverait d’un leurre en regard de l’objectif à atteindre. Il convient notamment de revoir la période d’ouverture envisagée et les modalités de calcul du montant de la régularisation. La révision de ces deux points et des suivants est essentielle pour rendre effectif le dispositif. Lequel, au  final, doit être « crédible et possible pour les auteurs »qui « ont été victimes de la mauvaise organisation du système ».

a/ Demande de régularisation sur une période non limitée
Le projet du 28 avril prévoit une période de régularisation limitée à 5 ans entre le 1er juin 2016 et le 31 décembre 2021.

Nous demandons à ce que le dispositif soit ouvert sans limitation de durée à l’instar du régime général. Avec la limitation envisagée le dispositif ne serait nullement fonctionnel. C’est le plus  souvent au moment de la liquidation de leur retraite que les artistes-auteurs découvrent qu’ils n’en  ont pas ! Ils s’aperçoivent alors que leurs cotisations plafonnées d’assurance vieillesse, qui auraient  dû légalement être appelées, ne l’ont pas été … De plus, l’information de personnes qui aujourd’hui  encore ne sont toujours pas identifiées, ni gérées correctement, par l’Agessa pose un problème  irrésolu.
D’autant  que  les  fonds  nécessaires à la mise en place d’un système informatique opérationnel et commun aux deux organismes sociaux ne sont toujours pas débloqués par la DSS. 

b/ Périodes d’activité artistiques pouvant donner lieu à régularisation par tranches de 3 ans
La période de régularisation porte sur les années postérieures au 31 décembre 1975. Le rachat de trimestres est possible par tranches minimales de trois années civiles consécutives avec une reconstitution intégrale des revenus artistiques annuels sur cette sous-période.
Le projet du 28 avril prévoit aussi un nombre de périodes limitées à cinq tranches de régularisation. Cette limitation supplémentaire n’est pas en cohérence avec la durée totale de la période de régularisation qui porte sur plus de quarante ans. Si les tranches de trois ans nous paraissent envisageables en regard de la capacité de rachat d’un artiste-auteur, en revanche imposer aux artistes-auteurs lésés sur une période supérieure à 15 ans des tranches de rachat supérieures à 3 ans constituerait une inégalité de traitement et une forme de double peine : plus l’artiste-auteur a été lésé moins les tranches de rachat seraient financièrement accessibles. Rien ne justifie qu’un artiste- auteur qui aurait été lésé pendant 40 ans soit obligé de régulariser par tranches de 8 ans. En conséquence, nous demandons la suppression de cette seconde limite de cinq périodes qui n’a pas lieu d’être et porte préjudice en particulier aux artistes-auteurs qui ont été lésés le plus longtemps.

c/ Calcul du montant de la régularisation
Le projet de circulaire renvoie aux règles fixées aux sept premiers alinéas de l’article R.351-11 du code de la sécurité sociale, ce qui impliquerait des majorations importantes à la date du versement pour régularisation par les artistes-auteurs alors que la capacité contributive de ces derniers est notoirement limitée et que l’État est pleinement responsable du dommage subi.

Nous demandons la suppression de toute majoration comme le préconise à juste titre le rapport IGAC-IGAS de 2013 dans sa recommandation N°4 : « ouvrir une possibilité de paiement rétroactif des cotisations vieillesse des artistes auteurs, avec un texte réglementaire, s’approchant des conditions générales, mais adapté à la situation des artistes auteurs. » Les rapporteurs précisent : 
« La prise en compte des coefficients de revalorisation (1° du II du R351- 11), ainsi que l’actualisation de 2,5% par an (3° du II), justifiées pour des employeurs indélicats, seraient dissuasives pour les auteurs. Le taux de cotisation doit être de 6.75 % (+0.10 % vieillesse  déplafonnée) comme dans les textes actuels, et non de 9% (3° du II) … S'agissant d'une carence dans la gestion du régime, sans décision des autorités de tutelle malgré les informations depuis des années sur le sujet, il est envisageable d'ouvrir cette possibilité de rachat dans des conditions accessibles pour les intéressés ». Non seulement « envisageable », mais indispensable.

d/ Modalités de règlement des versements de cotisations vieillesse prescrites 
Le projet de circulaire prévoit que le règlement est « effectué par virement ou chèque bancaire en un versement unique. Toutefois, à la demande expresse de l’assuré, ce versement peut être échelonné en mensualités sur une ou trois années ». Il convient que la durée maximale du règlement échelonné soit en cohérence avec la durée de la période de régularisation.  Ainsi, un artiste-auteur qui régulariserait  une  période  de 6  années consécutives doit naturellement pouvoir échelonner son règlement sur 6 ans. Il serait absurde qu’il soit obligé de fractionner sa période de régularisation en deux pour pouvoir en effectuer le règlement sur deux fois 3 ans, soit au final 6 ans.
Nous demandons que les modalités de règlement soient sur option de l’assuré :
- un règlement échelonné par prélèvement mensuel sur une durée identique à celle de la  période de régularisation, avec possibilité de remboursement anticipé du reste dû sur  demande.
- un règlement échelonné par prélèvement mensuel sur une durée choisie, inférieure à celle de  la période de régularisation, avec possibilité de remboursement anticipé du reste dû sur  demande.
- un versement unique effectué par virement ou chèque bancaire.

e/ Pièces justificatives
L’ensemble de la partie du projet de circulaire consacrée aux  « Pièces justificatives requises » nécessite une réécriture complète tant il est déconnecté de la réalité des conditions d’exercice et des modalités déclaratives des artistes-auteurs.
Les artistes-auteurs déclarant leurs revenus artistiques en BNC sont purement et simplement omis. Le justificatif normal est l’avis d’imposition annuel qui mentionne le montant des BNC.  Concernant les artistes-auteurs déclarant leurs revenus artistiques en traitements et salaires, il est tout à fait irréaliste d’envisager qu’ils puissent obtenir un relevé de carrière « établi et authentifié par le ou les diffuseurs » alors que dans la pratique quotidienne ils rencontrent déjà de grandes difficultés à obtenir systématiquement les certifications de précompte qui sont, en théorie, obligatoirement transmises par le diffuseur à l’auteur au moment du versement des droits. Distinguer les artistes-auteurs selon qu’ils perçoivent leurs droits en gestion collective ou en gestion individuelle est une pure vue de l’esprit, les artistes-auteurs perçoivent des droits simultanément selon les deux modes de gestion.
Nous demandons une réécriture de la partie consacrée aux « pièces justificatives requises » afin qu’elle  soit  en  adéquation  avec  les  conditions  réelles  d’exercice  et  les  modalités déclaratives de revenu effectives des artistes-auteurs.

L’ensemble des dispositions préconisées ci-dessus est indispensable pour rendre réellement accessible le dispositif et réellement effectif le mécanisme réparateur. Un dispositif qui s’avèrerait inadapté à la situation et à ses causes, partiel et/ou inapplicable, serait dénué de sens faute d’atteindre l’objectif fixé : « rétablir les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ».

La responsabilité des ministères de tutelle est incontestablement et pleinement engagée. Or en l’état le projet de circulaire proposé le 28 avril 2016 est encore loin d’être à la hauteur des dommages causés par l’État à plus des trois quarts des artistes-auteurs.

En conséquence, nous vous demandons de revoir la rédaction de cette circulaire et de prévoir une nouvelle rencontre avec les organisations professionnelles des artistes-auteurs.

Nous vous prions, Madame la ministre, d’agréer l’expression de notre haute considération.

AdaBD (Association des Auteurs de Bandes Dessinées)
CAAP (comité des Artistes Auteurs Plasticiens)
SELF (Syndicat des Ecrivains de Langue Française)
SMDA Cfdt (Syndicat Solidarité Maison des Artistes CFDT)
SNAA-FO (Syndicat National des Artistes Auteurs FO)
SNAPcgt (Syndicat National des Artistes Auteurs Plasticiens CGT)
SNP (Syndicat National des Photographes)
SNSP (Syndicat National des Sculpteurs Plasticiens) 
UNPI (Union Nationale des Peintres-Illustrateurs)
USOPAV (Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts visuels)

Pour les organisations signataires
Christophe le François
Contact : actart@orange.fr
USOPAV c/o La Fabrik - 23, rue du Docteur Potain 75019 Paris